Nous avons tout quitté pour te suivre

Jésus vient tout juste de dire combien il est difficile pour un riche d’entrer dans le Royaume, « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l'aiguille » et en réponse à la question des disciples « Et qui peut être sauvé ? » de répondre que l’homme ne peut pas se sauver par lui-même : « Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » (Mc 10, 25-27). La remarque de Pierre est légitime : si nous ne pouvons rien faire pour « mériter » le Royaume qu’est-ce que cela nous donne d’avoir tout quitté pour te suivre ? Et Jésus de répondre que de quitter ce à quoi nous sommes attachés dans le domaine du sensible, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, ne demeurera pas sans récompense, en ce temps déjà… et, dans le monde à venir, la vie éternelle. La conclusion de Jésus fait quant à elle directement référence à la parabole du riche et de Lazare où les rôles ont été inversés dans l’éternité alors que celui qui était dépossédé de tout en cette vie s’est trouvé enrichi de Dieu et inversement celui qui avait tout ici-bas s’est retrouvé dépouillé de tout dans l’éternité (Lc 16, 19-31). Ainsi, beaucoup de premiers seront derniers, et les derniers seront les premiers.

Plus mystérieuse est la partie de la réponse de Jésus qui concerne le temps présent : sans qu'il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions. Il est évident que cette réponse ne peut être prise au sens propre. En effet, nous n’avons jamais vu personne recevoir matériellement cent fois ce qu’il a quitté pour l’amour de Dieu. Le « avec des persécutions » est un indice, ceci référant à une des béatitudes du sermon sur la montagne : « Heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu'on vous persécutera, et qu'on dira faussement contre vous toute sorte d'infamie à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux: c'est bien ainsi qu'on a persécuté les prophètes, vos devanciers » (Mt 5, 11-12). Celles-ci ne sont donc pas une malédiction mais une bénédiction au plan spirituel. Quel est donc ce centuple que nous pouvons espérer en cette vie ? Je crois qu’il s’agit de l’Esprit Saint dont la présence discrète en nous constitue les prémices de la vie de Dieu que nous sommes appelés à partager en plénitude pour l’éternité. Cette présence de l’Esprit en nous, rend cent fois plus heureux que toutes les choses sensibles que nous aurons quittées,  la possession de ces dernières laissant toujours en nous un sentiment d’insatisfaction qui nous incite à tort à en vouloir plus, comme l’eau de mer donne davantage soif. Ce sentiment d’insatisfaction provient de ce que nous avons été créés pour Dieu et qu’il n’y a que Lui qui puisse nous satisfaire.

Nous avons Jésus pour modèle dans ce chemin d’appauvrissement : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus: Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix! Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2, 5-9). Jésus qui s’est fait dire dès cette vie par le Père lors de son baptême : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j'ai mis tout mon amour. » (Mt 3, 17). Qu’est-ce que l’amour du Père sinon l’Esprit Saint ? De même, si nous nous dépouillons, pouvons-nous espérer être gratifiés de l’amour du Père, amour qui se révélera par la présence de l’Esprit Saint en nous, présence qui comblera nos désirs bien au-delà de ce que les biens matériels ne pourront jamais le faire, présence qui nous indiquera la route à suivre pour aspirer au Royaume éternel.