Pauvre de coeur

Qui sont ces pauvres de cœur ? Difficile à dire, mais comme je pense en avoir rencontré un récemment, j’ai cru bon partager avec vous ma découverte.

Il s’agit d’un éducateur spécialisé qui a consacré sa vie aux enfants démontrant de grandes difficultés d’apprentissage. Quel beau métier que celui de transformer des jeunes qui s’annoncent être des passifs éventuels pour la société à laquelle ils appartiennent en des membres à part entière qui contribuent au bien commun par leur travail et leurs impôts et même en fondant des familles. Lui-même reconnaissait que cela était gratifiant. Un regret cependant l’affligeait : à côtoyer ces pauvres d’esprit, il constatait qu’à la longue il avait fini par leur ressembler. Il avait notamment beaucoup de difficulté à écrire sans faute d’orthographe et il lui était devenu difficile de tenir une conversation à teneur plus philosophique ou d’élaborer un raisonnement complexe. Il avait perdu au fil de sa longue carrière la vivacité d’esprit qui le caractérisait lors de sa jeunesse. Jusqu’à quel point la perte ressentie était-elle pénible ? Je l’ignore. Seul celui qui en souffre peut le dire mais d’expérience je sais que toute perte fait mal, d’autant plus mal que ce dont on est dépouillé nous est intime. Or, ici, on se situe au plus intime, tout près de l’âme…

Y a-t-il vraiment lieu de s’affliger ? Le Royaume des cieux est à eux. Aussi difficile que soit ce dépouillement, n’est-ce pas un bien petit prix eu égard à la récompense promise ? Se dépouiller de soi-même n’est-ce pas marcher dans les pas du Christ ? « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix! Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2, 6-9). N’est-ce pas ce que l’apôtre Paul a lui-même fait ? « Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver à tout prix quelques-uns » (1 Co 9, 22).

Les regrets, ceux d’avoir fait ce qu’il convenait de faire, d’avoir bien fait, ne peuvent provenir que de l’Accusateur (Ap 12, 10) qui jour et nuit ne cherche qu’à nous convaincre de l’inutilité de nos efforts et combien préférable et prestigieux eût-ce été pour nous de prendre une voie autre que la vocation à laquelle Dieu nous avait destiné. Le rêve d’une plus grande gloire n’a-t-il pas été l’une des tentations de Jésus au désert (Lc 4, 5-7) ?