Regard

Vivant dans une société capitaliste, j’ai appris depuis longtemps que ce ne sont pas les paroles, aussi belles soient-elles, qui nous révèlent les convictions profondes d’une personne mais l’usage qu’elle fait de son argent ou encore l’argent à laquelle elle est prête à renoncer pour vivre en conformité avec les valeurs qu’elle déclare être siennes. Il s’agit là d’un principe universel, qu’il s’agisse de valeurs spirituelles ou autres. Avec mes collègues employés nous avons toujours attendu de voir les sommes investies par l’employeur ou les pertes que ce dernier était prêt à subir pour être fidèle aux valeurs qu’il professait avant de nous faire une idée sur le sérieux de ses intentions. Tout le monde veut aller au ciel mais personne ne veut mourir chantait avec fort d’à-propos Petula Clark. Et pourtant, comme le grain de blé tombé en terre doit mourir (Jn 12, 24) afin de s’ouvrir à une vie nouvelle, d’une plus grande plénitude, de même, devons-nous mourir, d’abord à nous-mêmes, à notre égoïsme, chaque jour avant que ne survienne le passage définitif vers l’éternité : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera » (Lc 9, 23-24). La peur de la mort, petite ou grande, dénote un plus grand attachement aux choses de ce monde qu’à leur Créateur.

Cette mort à soi-même, elle concerne au premier chef le regard. Qui regarde les choses avec concupiscence, avec le désir de les posséder, est aussi attaché à elles que si elles étaient siennes et subit un dommage similaire au plan spirituel que s’il en avait joui : « Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l'adultère avec elle » (Mt 5, 28). La lampe du corps, c'est l'œil. Si nous sommes sérieux dans notre désir d’aller vers Dieu, il faut nous efforcer de porter sur les personnes, les choses et les événements un regard semblable au sien. Voir ce qui est bon (Gn 1, 10.12.18.21.25) et en être reconnaissants. Voir au-delà du mal, également, notamment la souffrance de ceux qui le commettent et qui sont eux aussi les enfants de Dieu même s’ils le rejettent. Cette sobriété du regard, c’est aussi se garder d’envier les autres,  confiants que notre Père des cieux sait ce dont nous avons besoin sans même que nous n’ayons à le Lui demander (Mt 6, 8) et saura bien nous le procurer si cela peut contribuer à notre salut personnel, certes, mais surtout au salut du plus grand nombre.