Vaincre le monde

Le monde est le domaine du paraître, de l’orgueil, depuis qu’il est tombé sous l’emprise de celui qui, le premier, s’est rebellé contre Dieu et a refusé de se soumettre à Lui. Les multiples maux qui affligent le monde tirent leur origine de la concupiscence, du désir de posséder plus, non pas par nécessité mais pour satisfaire un besoin de reconnaissance. C’est le manque de reconnaissance qui a incité Caïn à tuer son frère Abel dont l’offrande avait été agrée par Yahvé (Gn 4, 3-8). De même, les nombreuses guerres qui ont marqué l’histoire de l’humanité ont-elles été engendrées par le désir de démontrer sa supériorité que ce soit par la domination ou par l’enrichissement. La création toute entière souffre et se trouve dans la détresse suite à l’appétit insatiable de considération au cœur de l’homme qui le pousse à consommer immodérément quitte à mettre en péril le fragile équilibre de son environnement, voire à laisser aux générations futures des conditions où il sera plus difficile pour la vie de se perpétuer.

Jésus a vaincu le monde par l’humilité, par son sacrifice sur la croix, victoire qui a été confirmée par sa résurrection. Tout au long de sa passion, soldats, passants, grands prêtres et scribes ont tenté en vain jusqu’au dernier moment de susciter en lui la moindre parcelle d’orgueil par leurs injures et leurs railleries : « Il en a sauvé d'autres et il ne peut se sauver lui-même! Il est roi d'Israël: qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui! Il a compté sur Dieu; que Dieu le délivre maintenant, s'il s'intéresse à lui! Il a bien dit: Je suis fils de Dieu! » (Mt 27, 42-43). Ce refus de Jésus de manifester sa puissance pour des fins autres que la mission qui lui avait été confiée, pour des fins personnelles, par pure satisfaction, a fait de son indigne instrument de supplice un symbole de victoire : Victoire ! Tu régneras ! Ô Croix, tu nous sauveras !

C’est l’humilité qui a fait de Marie la porte par laquelle Dieu est entré dans le monde en y prenant chair. Ce sont les cœurs humbles qui permettent au Christ de continuer d’habiter le monde par son Esprit et de vaincre la haine par l’amour. Dans un commentaire daté du 26 juin 2000, Joseph Ratzingerparle ainsi du triomphe de Dieu et du cœur immaculé de Marie :

Le Cœur ouvert à Dieu, purifié par la contemplation de Dieu, est plus fort que les fusils et que les armes de toute sorte. Le fiat de Marie, la parole de son cœur, a changé l'histoire du monde, parce qu'elle a introduit le Sauveur dans le monde – car, grâce à son « oui », Dieu pouvait devenir homme dans notre monde et désormais demeurer ainsi pour toujours. Le Malin a du pouvoir sur ce monde, nous le voyons et nous en faisons continuellement l'expérience; il a du pouvoir parce que notre liberté se laisse continuellement détourner de Dieu. Mais, depuis que Dieu lui-même a un cœur d'homme et a de ce fait tourné la liberté de l'homme vers le bien, vers Dieu, la liberté pour le mal n'a plus le dernier mot.

L’apôtre Paul, pour sa part, identifie la vanité comme source des maux des temps présents et parle des fils de Dieu comme des porteurs d’espérance d’une vie meilleure en raison de l’humilité qui les habite, espérance qui ne se limite pas à leurs congénères mais s’étend à la création toute entière. De telles paroles n’ont jamais été d’une actualité aussi brûlante qu’en ces temps où la situation environnementale se dégrade à un rythme accéléré en raison d’une consommation effrénée : « J'estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu: si elle fut assujettie à la vanité, -- non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise, -- c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » (Rm 8, 18-22). Qui se dit de Dieu doit, à mon avis, restreindre volontairement sa consommation à ses besoins réels, pour participer au triomphe de Jésus sur la croix et ainsi actualiser la victoire de l’humilité sur le monde et sa vanité.