Méditations sur les enseignements bibliques pour le quotidien d'aujourd'hui
L’art de diriger
Frères, je m'adresse à ceux qui exercent parmi vous la fonction d'Anciens, car moi aussi je fais partie des Anciens, je suis témoin de la passion du Christ, et je communierai à la gloire qui va se révéler. Soyez les bergers du troupeau de Dieu qui vous est confié ; veillez sur lui, non par contrainte mais de bon cœur, comme Dieu le veut ; non par une misérable cupidité mais par dévouement ; non pas en commandant en maîtres à ceux dont vous avez reçu la charge, mais en devenant les modèles du troupeau. Et, quand se manifestera le berger suprême, vous remporterez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas.
Première lettre de Pierre Apôtre 5,1-4.
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À lire cette lettre de Pierre on comprend pourquoi Jésus l’a choisi pour être à la tête de son Église au-delà du fait qu’il ait été le premier à manifester sa foi en Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! » ( Mt 16, 16). On voit qu’il a parfaitement assimilé les enseignements du Maître : « Vous savez que ceux qu'on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous: au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l'esclave de tous. Aussi bien, le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 42-45).
On ne peut lire ce texte de Pierre sans penser au pape François, son digne successeur, qui s’efforce de mettre en œuvre les enseignements de Jésus et Pierre dans l’exercice de la charge qui lui a été confiée d’être le berger de l’Église universelle. Il prêche par l’exemple, devenant modèle du troupeau, entre autres choses en renonçant à certains privilèges qui étaient autrefois associés à la papauté. Dans son exhortation apostolique Evangilii Gaudium, après en avoir appelé à une conversion des communautés, des évêques, des Églises particulière et de l’Église universelle aux paragraphes 25 à 31, il ne s’oublie pas lui-même au paragraphe 32 :
Du moment que je suis appelé à vivre ce que je demande aux autres, je dois aussi penser à une conversion de la papauté. Il me revient, comme Évêque de Rome, de rester ouvert aux suggestions orientées vers un exercice de mon ministère qui le rende plus fidèle à la signification que Jésus-Christ entend lui donner, et aux nécessités actuelles de l’évangélisation. Le Pape Jean-Paul II demanda d’être aidé pour trouver une « forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission ». Nous avons peu avancé en ce sens. La papauté aussi, et les structures centrales de l’Église universelle, ont besoin d’écouter l’appel à une conversion pastorale. Le Concile Vatican II a affirmé que, d’une manière analogue aux antiques Églises patriarcales, les conférences épiscopales peuvent « contribuer de façons multiples et fécondes à ce que le sentiment collégial se réalise concrètement ». Mais ce souhait ne s’est pas pleinement réalisé, parce que n’a pas encore été suffisamment explicité un statut des conférences épiscopales qui les conçoive comme sujet d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique. Une excessive centralisation, au lieu d’aider, complique la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire.
On sent chez le pape François le souci d’être le berger du troupeau de Dieu qui lui est confié ; de veiller sur lui, non par contrainte mais de bon cœur, comme Dieu le veut. Aussi, au paragraphe 17 d’Evangilii Gaudium en appelle-t-il à « progresser dans une “décentralisation” salutaire » de l’Église, pour retrouver la collégialité qui caractérisait l’Église des premiers temps. Concrètement, le pape François a constitué dès le premier mois de son pontificat un groupe de huit cardinaux en provenance des cinq continents, le G8, pour le conseiller dans le gouvernement de l’Église universelle, dans l’espoir de parvenir à la plus grande collégialité souhaitée.
Mais les propos de Jésus et de Pierre sur l’art de diriger ne se limitent pas à la gouvernance de l’Église mais s’appliquent tout autant au monde politique ou aux diverses organisations civiles. J’ai lu et relu les livres du Dr Laurence J Peter « Le principe de Peter » et « Pourquoi tout va mal ». S’il décrit très bien la situation à savoir que « dans une hiérarchie, toute personne tend à s’élever à son niveau d’incompétence » on ne peut que déplorer le manque de solutions au problème qu’il décrit si bien dans les moindres détails. La solution existe. Le problème vient de la perception que la très vaste majorité des gens ont du pouvoir : la possibilité qui leur est offerte de mettre les autres à leur service et / ou de tirer avantage personnel de leur situation. Une telle vision conduit inéluctablement aux abus de pouvoirs et à la corruption. L’antidote consiste à suivre la voie enseignée par Jésus : celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l'esclave de tous. Le rôle principal du dirigeant est d’utiliser le pouvoir à sa disposition pour éliminer les obstacles qui empêchent les personnes sous son autorité d’atteindre leur plein potentiel, bref de se mettre à leur service. Chacun agissant de même en descendant dans la hiérarchie, on en vient à donner à ceux qui sont à la base, et qui « font le travail », tous les outils nécessaires pour être performants, performance dont la gloire remontera éventuellement sur celui qui, à la tête de la pyramide s’est mis au service de ceux qui se retrouvent sous ses ordres. On respecte ainsi le principe de subsidiarité élaboré dans l’enseignement de la doctrine sociale de l’Église que le Catéchisme décrit comme suit au numéro 1883 :
Une société d’ordre supérieur (un dirigeant) ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’ordre inférieur (un subordonné) en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun
Bref, le pouvoir d’agir et de décider, doit toujours être remis à la personne la plus près de l’action, car elle est la plus à même de décider et de faire ce qui est le plus approprié dans une circonstance donnée, le supérieur devant s’assurer de la coordination des efforts individuels en vue du bien commun.
Si on respecte le principe de subsidiarité tant aux divers niveaux de gouvernement (international, national, régional, municipal, conseil de quartier, famille) que dans les diverses organisations à but lucratif ou non, nous cesserons d’avoir des incompétents qui nous dirigent et notre monde ne s’en portera que mieux. Tant que nous mettrons en position d’autorité des personnes recherchant prioritairement leur intérêt personnel et que nous les encouragerons à agir de la sorte en leur octroyant notamment des bonis de performance, la création en attente continuera à aspirer à la révélation des fils de Dieu (Rm 8, 19), ces fiduciaires désintéressés œuvrant prioritairement au bien commun et incidemment à leur bien personnel, car lorsque le bien commun est bien desservi tout le monde y trouve son compte, ne serait-ce qu’en raison du climat de paix qui règne.