Méditations sur les enseignements bibliques pour le quotidien d'aujourd'hui
Craindre
Si tout est incertain, pourquoi craindre quelque chose ?
– Solon (640-558)
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Il faut passer outre à nos craintes sans quoi nous n’accomplirions jamais rien. Toute action comporte son lot d’incertitudes. Qui veut avancer doit pondérer les risques encourus eu égard aux bénéfices potentiels. Certains risques ayant des conséquences minimes ou une probabilité éloignée de se réaliser ne valent pas la peine que nous nous y arrêtions. Cependant, les conséquences gagnant en importance et les probabilités de réalisation s’accroissant, il nous faut évaluer les possibilités et la valeur des gains envisagés pour estimer si le jeu en vaut toujours la chandelle. Enfin, la valeur des gains envisagés peu être très attrayante mais la probabilité de les toucher aussi faible que de gagner à la loterie ou encore le prix à payer s’élever au-delà de ce que nous sommes prêts à consentir, qu’il vaut mieux renoncer. En aucun cas ne devons-nous cependant laisser l’émotion seule nous dicter notre conduite, la crainte irraisonnée nous empêcher d’agir ni l’enthousiasme aveugle nous inciter à nous lancer tête baissée dans l’aventure.
J’ai eu à travailler beaucoup en informatique dans ma carrière. Si, au début, alors que la science en était à ses premiers balbutiements, les nouvelles générations de logiciel par les améliorations qu’elles proposaient justifiaient amplement les risques encourus lors d’une migration, les gains potentiels sont devenus marginaux avec le temps, les fonctionnalités de base étant assurées par la quasi-totalité des fournisseurs et les distinctions se faisant notamment dans les caractéristiques souhaitables mais non essentielles. Aussi, est-il devenu beaucoup plus rentable avec le temps de chercher à optimiser l’usage fait des logiciels en place, d’y ajouter de diverses manières ou de les améliorer avec l’aide de leur concepteur que d’encourir le risque de repartir à neuf avec un nouveau produit. La pire histoire d’horreur dont j’ai eu connaissance concernait une petite entreprise qui a refusé de débourser environ 250 000$ pour mettre à niveau son système informatique tel que recommandé par la personne en charge qu’elle a congédiée pour engloutir près de dix millions de dollars dans l’aventure d’implanter un nouveau logiciel qui s’est avéré moins performant que l’ancien avec pour résultat que celle-ci s’est vue acculer à la faillite.
La vie spirituelle est elle aussi faite de risques, le plus fondamental étant d’accorder sa foi à un Dieu qu’on ne voit pas et qui demeure silencieux. S’adresse-t-il à nous qu’il le fait de façon subtile, imperceptible, par les autres ou les événements. Le père Raniero Cantalamessa a fait une bonne analyse du risque de la foi lorsqu’il a commenté le 10 avril 2009 la campagne publicitaire qui affichait sur les bus de Londres : « Dieu n'existe probablement pas. Cessez donc de vous inquiéter et profitez de la vie ». Le message sous-jacent est que la foi en Dieu empêche de profiter de la vie. Le péché est, pour l’apôtre Paul, la cause principale du malheur des hommes, c'est-à-dire le refus de Dieu, pas Dieu ! Le péché enferme la créature humaine dans le « mensonge » et dans l'« injustice » (Rm 1, 18 ss. ; 3, 23), condamne le cosmos matériel lui-même à la « vanité » et à la « corruption » (Rm 8, 19 ss.) ; il est aussi la cause ultime des maux sociaux qui affligent l'humanité. On n'en finit pas d'analyser l'actuelle crise économique dans le monde ainsi que ses causes, mais qui ose mettre la hache à la racine et parler de péché ? L'Apôtre définit la cupidité une « idolâtrie » (Col 3, 5) et montre du doigt l'amour démesuré de l'argent comme étant « la racine de tous les maux » (1 Tm 6, 10). Pouvons-nous lui donner tort ? Ce n'est pas la seule incohérence de cette trouvaille publicitaire. « Dieu n'existe probablement pas » : il pourrait donc exister, on ne peut pas exclure totalement le fait qu'il existe. Mais cher frère non croyant, si Dieu n'existe pas, moi je n'ai rien perdu ; si en revanche il existe, tu as tout perdu ! Le croyant, si Dieu n’existe pas, n’a rien perdu car en s’abstenant du péché il a au moins contribué à l’érection d’un monde meilleur. Dans le cas contraire, l’incroyant a tout perdu : ayant laissé libre cours à ses passions égoïstes a-t-il probablement passé à côté de l’amour véritable qui seul peut procurer le bonheur de façon imparfaite en cette vie et en félicité dans la communion avec Dieu dans l’au-delà.
Le croyant, quant à lui, doit prendre garde aux scrupules, une crainte exagérée de déplaire à Dieu, ce qui peut sembler bizarre dans un monde qui ne se soucie plus du péché mais qui était encore bien présent il n’y a que quelques décennies. Si le salut est assuré, ainsi que nous l’affirme l’apôtre Paul pourquoi craindre ? le péché ne dominera pas sur vous: vous n'êtes pas sous la Loi, mais sous la grâce. (Rm 6, 14).
Les apôtres n’ont pas été exempts de la crainte. Lorsque Jésus leur annonce : « qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter » (Mt 16, 21), Pierre s’y oppose car il a peur de se voir séparer de son Maître : « Dieu t'en préserve, Seigneur! Non, cela ne t'arrivera point !» (Mt 16, 22) et Jésus de répondre : « Passe derrière moi, Satan! tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes! » (Mt 16, 23). Mais Jésus a pitié de la faiblesse de ses disciples et il se montre à eux quelques jours plus tard dans sa gloire lors de la Transfiguration, gloire qui découlera de sa parfaite obéissance à la volonté du Père dont l’acte ultime (le prix à payer) est sa mort sur la croix.